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Après la destruction du >> vicus de Boutae au Ve siècle, c'est sur la colline de l'actuelle Annecy-le-Vieux que se développe - autour de la villa Aniciaca - une nouvelle bourgade, érigée en grand domaine royal au VIIIe siècle. Ce n'est que plus tard, au XIe siècle, que s'installe au pied du dernier contrefort du Semnoz une nouvelle bourgade, qui prendra le nom d'Annecy-le-Neuf. Au XIIe siècle, les comtes de Genève s'installent à demeure dans la plaine d'Annecy, dans la maison forte de Novel, et étendent leur influence sur la ville nouvelle et la vie locale. C'est à leur initiative que dès le XIIe ou le XIIIe siècle, des Cisterciennes s'installent dans l'austère vallon de Sainte-Catherine, quelques kilomètres au sud d'Annecy, en prolongement des actuels quartiers de La Prairie et de Vovray.


XIIe-XVIIIe siècles, l'abbaye cistercienne Sainte-Catherine du Mont Semnoz

Ainsi va être fondée l'abbaye Sainte-Catherine du Mont (Semnoz), qui va devenir propriétaire de la plus grande partie des forêts et pâturages du territoire de la paroisse d'Annecy : près de 300 hectares (3'000'000 m², soit 3 km²).

L'abbaye de Sainte-Catherine du Mont aurait été créée peut-être en 1150 / 1160, ou entre 1179 et 1228, soit avec la construction d'une première chapelle, soit par l'érection en abbaye d'un site existant par Marguerite de Genève [date inconnue - † 1257] - surnommée Béatrix - fille de Guillaume Ier, comte de Genève [1131/1137 - † 1195].

Le nom du site est choisi par le comte de Genève, qui voit dans la topographie du vallon une ressemblance avec celui du Sinaï où se trouvent les célèbres monastère et tombeau de Sainte-Catherine. Avant cela, le proto-nom de « Notre-Dame du Mont » est évoqué, et on parle - très rarement - de « Sainte-Catherine de la montagne ».

La princesse Béatrix aurait amené de Bonlieu(1) les premières religieuses, et aurait destiné l'église qu'elle y fit bâtir à être le tombeau de sa famille, comme l'abbaye d'Hautecombe allait devenir celui des comtes de Maurienne et de Savoie...

L'abbaye prospère, au point de fonder deux abbayes-filles à proximité du lac Léman : celle de Bellerive entre 1150 et 1180, dans l'actuelle commune suisse de Collonge-Bellerive (fermée et partiellement détruite en 1530), et en 1150 encore celle du Petit-Lieu, à Perrignier en Haute-Savoie (pillée en 1536 et fermée en 1538).


Une contestation de la filiation de l'abbaye se crée dès 1242 : les moniales de Sainte-Catherine du Mont veulent s'émanciper de la filiation à l'abbaye de Bonlieu-sous-Sallenôves. Après arbitrage et contre paiement d'une rente, Sainte-Catherine du Mont est détachée de son abbaye-mère.

Le site de l'abbaye était composé de plusieurs bâtiments séparés par une cour. L'abbatiale à l'ouest accueillait la cuisine et le poêle, douze chambres de religieuses, le noviciat, et un dortoir au 1er étage. À l'ouest toujours se situait l'entrée, près de la fontaine encadrée d'ogive, avec l'aumônerie de 4 pièces, la boulangerie et les écuries. Au sud, sur le cheminement accédant aux prés et à la forêt, fût implanté ultérieurement un lavoir, symbole de la domestication de l'eau dans le vallon et témoin de l'augmentation de la taille de la communauté...

De Sainte-Catherine dépendaient les lieux-dits la Bouverie, les Grangettes (tout deux situés en prolongement de l'abbaye dans le vallon), les Puisots (accessibles depuis l'abbaye par le sentier du Pas de l'Âne), Moulin-Rouge, et au-dessous du monastère, la maison des Michaud. D'autres privilèges seront accordés par des actes royaux successifs, tel que la leyde (taxe) du sel à Annecy, des fermes, granges et vignes à Annecy-le-Vieux, Brogny, Pringy, Malaz (Seynod) et à Thônes.


Si Sainte-Catherine du Mont jouit au début d'une bonne réputation par rapport à l'abbaye de Bonlieu-sous-Sallenôves, au fil des siècles la rigueur moniale se délite quelque peu, provoquant des scandales et des tensions avec les autres ordres présents à Annecy (au sujet des possessions personnelles des sœurs, de l'absence de clôture, de la qualité d'exécution des rites de l'ordre en particulier et de l'église en général).

En 1607, âgée de moins de 16 ans, Louise de Ballon [5 juin 1591 - † 14 décembre 1668] prononce ses vœux à Sainte-Catherine du Mont - prenant pour nom de religieuse Thérèse. Elle y vit depuis ses 7 ans avec sa sœur [ndr: sa sœur biologique]. Mais, bien que simple religieuse sans titre honorifique, elle a la volonté de réformer son ordre ; elle quitte la congrégation en 1622 pour fonder l'ordre des Bernardines réformées...


En 1771, Monseigneur Biord dénonce à l'abbé de Clairvaux le comportement des religieuses de Sainte-Catherine du Mont, qui reçoivent des visiteurs des deux sexes et effectuent de longs séjours hors des murs de l'abbaye. L'abbé en décide la suppression et sa fusion avec celle de Bonlieu(2) le 3 octobre 1772. L'abbaye et ses huit dernières Cisterciennes est donc transférée et fusionnée au centre-ville (sur le site qu'occupe le couvent des Bernardines de Bonlieu depuis 1648) à l'actuel emplacement du centre culturel Bonlieu et du Pâquier.

illustration 1) Plan de l'abbaye de Sainte-Catherine du Mont d'après le cadastre de 1732
En orange, les vestiges tels que présents en 1990
tracé Cédric Cuz, d'après la brochure « Sentiers Forestiers - Crêt du Maure, Sainte-Catherine » de l'Office National des Forêts et de l'Office du tourisme d'Annecy

Si au cours de son histoire, quelques princes et évêques(3) furent inhumés dans l'église du couvent (fonction partagée avec la chartreuse Notre-Dame de Pomier), c'est Notre-Dame-de-Liesse - en pleine ville - qui sera finalement choisie pour abriter les sépultures des derniers descendants des comtes de Genève...


Les deux couvents à peine fusionnés, les sœurs lancent des appels pour obtenir le cumul de certaines aumônes. Une des requêtes porta sur le don de sel au bénéfice des sœurs, à laquelle le Bureau général des dépenses de Turin répondit que - pour un effectif total de 25 religieuses de chœur + 6 oblates(4) + 6 servantes en 1772 - ce cumul atteindrait alors les 40 livres de sel par an et par tête et que « cette quantité excédant de beaucoup la consommation normale, il s'en suivrait un commerce de sel, ce qui n'est pas permis »... elles n'ont visiblement pas retenue la leçon de leur comportement décrié les précédentes décennies...

Dans la nuit du 14 au 15 octobre 1780, un incendie ravage l'église, la grande cave et d'autres bâtiments du couvent de Bonlieu à Annecy. On évoque alors la piste de faire retourner les sœurs à Sainte-Catherine du Mont, y compris celles de Bonlieu. Le rapport de l'avocat-fiscal Richard abonda en ce sens, argumentant notamment de l'origine royale de la première abbaye sur le second couvent, mais finalement l'église fût reconstruite à son emplacement d'origine, et sera bénie en octobre 1783, sans qu'aucune sœur ne retourne dans le vallon.


Sous l'occupation des révolutionnaires français entre 1792 et 1815, un projet prévoit de convertir certains couvents en casernes. En 1793, l'abbaye de Bonlieu, qui n'a pas reçue de nouvelles arrivantes depuis des années, est dissoute, les sœurs étant renvoyées dans leurs familles.
Antoine-Louis Albitte [30 décembre 1761 - † 23 décembre 1812] - qui porte le titre de représentant en mission, ou commissaire politique - fait raccourcir nombre de clochers, saisir les objets précieux des églises et prends un arrêté en 1794 pour que soient transformées ou détruites toutes les cloches, mais l'église du vallon n'existe semble-t'il déjà plus à ce moment. Saisie comme bien national, l'ancienne abbaye de Sainte-Catherine du Mont - dont une partie héberge déjà une fabrique de faïence - sera partiellement rasée et les matériaux revendus à la ville d'Annecy pour la somme de 250 francs. Une fabrique de tissus de coton s'installe brièvement sur le site ou bien à l'entrée du vallon...

Fr. Mugnier note que si l'abbaye de Sainte-Catherine du Mont à permis à des jeunes femmes d'y trouver meilleurs asile et protection que dans leur propre famille, le nombre de sœurs n'y fût pourtant jamais très élevé. D'autre part, le niveau général d'instruction des abbesses et des prieures - basé sur l'analyse de l'orthographe et de la grammaire des courriers échangés - n'est pas non plus au dessus de la moyenne de l'époque. Et qu'enfin les scandales dénoncés n'y furent pas forcément plus graves que ceux constatés dans d'autres couvents cisterciens de Savoie.


1780-1800, la faïencerie

Après 1772, le site retrouve alors brièvement des fonctions pastorale et agricole.
Une convention est signée le 15 mars 1780 entre l'abbé Bard, monsieur Burnod, les hospices d'Annecy, Joseph Despine, Paul-François de Sales et François-Marie de La Fléchère (tous actionnaires à différents degrés) devant le notaire Collomb pour la cession d'un bail d'exploitation des terres et bâtiments de l'ancienne abbaye au bénéfice de Michel Neppel.

Cela se concrétise par l'installation d'une faïencerie - ou plus exactement une « manufacture et fabrique de fayance, potasserie et thuilerie » selon les termes de la convention - dirigée d'abord par Michel Neppel lui-même, puis par Jean-Claude Burnod (avocat, procureur-syndic d'Annecy entre autre), remplacé en 1795 par un certain Pissard puis par le citoyen Cauly...

La spécialisation requise de la main d'œuvre et l'absence de savoir-faire locaux nécessitent l'embauche d'ouvriers qualifiés d'origine étrangère et souvent germanique : Christin-Frédéric Zaberer (pays de Bade), François Tripp et Daniel Chefner (tous les deux originaires du land de Saxe) pour les plus connus.


Les débuts de la faïencerie sont laborieux, mais 4 à 6 ouvriers finissent par vivre sur le site de Sainte-Catherine, les autres ouvriers habitant quant à eux à proximité immédiate du vallon. Cette implantation jusqu'en 1796-1797, peut-être 1804, initie une production de céramique annécienne moderne, en attirant un nombre assez important de potiers et de faïenciers artisanaux.

illustration 2) Ancienne poterie Tripp, on peut lire sur le panneau « Poterie artistique A. Tripp, Annecy, 1907 »
cliché © Musées de l'agglomération d'Annecy
illustration 3) L'ancienne poterie Hertz d'Annecy
cliché © Musées de l'agglomération d'Annecy
illustration 4) Poterie Gojon
cliché © Le Dauphiné Libéré, 1949

Même si certains ateliers avaient déjà été créés durant l'activité de la faïencerie, la fermeture de cette dernière contribue à l'augmentation du nombre d'artisans, en essaimant les anciens ouvriers dans la ville.

Les potiers se regroupent dans des quartiers ou des localités bien définies. Ainsi le hameau de Sacconges (commune de Seynod) situé au pied du vallon de Sainte-Catherine en accueille un certain nombre.
À Annecy, ils se concentrent dans les faubourgs du Sépulcre (actuel quartier Loverchy), les quartiers Sainte-Claire, de Bœuf (rue Carnot aujourd'hui) et de Perrière.


Tous ces ateliers de potiers - alors au nombre de huit en 1808 contre aucun 50 ans plus tôt - ne vont pas prospérer... La poterie Hertz, installée depuis 1844 dans l'ancienne église du Saint-Sépulcre, située sur la rive gauche du Thiou, disparaît définitivement en 1966 avec le déménagement des successeurs à Saint-Jorioz et la construction du gymnase du lycée Gabriel-Fauré.
L'atelier de la poterie Tripp, qui revendiquait une fondation en 1728 avant une arrivée à Annecy (Sacconges) vers 1780, est démoli en 1966 aussi.

illustration 5) et couverture Le vallon et les bâtiments de Sainte-Catherine en 1949
cliché © Musées de l'agglomération d'Annecy
Il est intéressant de noter que la poterie dite « savoyarde » définie comme telle à partir du début du XXe siècle est pour une grande partie héritée de savoir-faire d'ouvriers d'origine alémanique, voire d'Europe centrale...

1800-1960, le hameau de Sainte-Catherine

La dernière partie de l'histoire du vallon et de la combe entre le Crêt du Maure et les Rochers du Bec est à nouveau agricole. Sainte-Catherine devient un hameau où les annéciens montent y acheter du reblochon.

C'est sans doute à cette période que la déconstruction du site se poursuit, les matériaux et éléments étant alors soit revendus, soit réutilisés sur place pour construire les bâtiments agricoles des nouveaux occupants.
Le dessin de Prosper Dunant [29 août 1790 - † 2 juillet 1878] en >> illustration 11 - daté de l'automne 1825 - laisse à penser que le site, bien que déjà en ruines, comportait tout de même d'avantage d'éléments qu'aujourd'hui...

illustration 6) Vue d'ensemble de l'abri de la Boverie le 8 mai 2011
cliché © Samy, www.refuges.info

Le hameau - composé de quelques fermes et de scieries - est finalement délaissé par ses derniers occupants en 1960.

En 1973 et en 1982, la ville rachète les différents terrains, effectue la sauvegarde des ruines des derniers bâtiments, plante de nombreux arbres en lieu et place d'une partie des pâturages, et y aménage des circuits de randonnées, dont une montée à une croix qui surplombe Sacconges.
Les dénominations des lieu-dits Grangette (« petite grange », qui passe à l'occasion au singulier) et Boverie (« enclos des bœufs ») sont les derniers témoins de l'activité pastorale et agricole de ce vallon...

Au sein de la vaste forêt communale d'Annecy, le canton de Sainte-Catherine représente environ 200 des 460 ha d'espaces verts. Ce vallon à l'abri des rigueurs du climat montagnard constitue une véritable réserve de "gros bois" pour les forestiers - avec les plus anciens arbres d'Annecy -, et abrite l'une des seules futaies régulières d'épicéas en France.


Rumeurs, légendes urbaines et fantasmes autour du vallon de Sainte-Catherine

Natif d'Annecy, j'ai toujours entendu des histoires - des plus anodines aux plus fantasques - au sujet du vallon. Si la vox populi se souvient bien de l'implantation d'une faïencerie dans le vallon, la période plus troublée de l'occupation française a nourri d'avantage de conjectures et fictions. Je propose donc une petite démystification de certaines, avec mes maigres moyens...


L'absence d'eau aurait été préjudiciable à la survie des sœurs / à l'activité de la faïencerie

En consultant des sources historiques et d'autres plus récentes, on y note que la présence d'un point d'eau fait partie du cahier des charges du choix d'un site d'implantation d'une communauté de l'ordre cistercien, au même titre que des pâturages et/ou une forêt pour du bois de charpente ou de chauffage. On se rend compte alors que le choix du vallon de Sainte-Catherine est bon, celui-ci offrant justement un point d'eau avec le nant (ruisseau), des terres agricoles et des bois, tous ce qui est vital pour l'installation pérenne d'une communauté religieuse, fût-elle d'une taille modeste. On a d'ailleurs retrouvé parmi les ruines les restes d'une fontaine assez rustique.

Pour la faïencerie, des hommes d'affaires avisés ne se seraient pas laisser convaincre de choisir ce site en 1780 pour installer une telle entreprise si la force motrice ou la ressource brute de l'eau n'y était pas présente en quantité suffisante.

illustration 7) Le ruisseau de Sainte-Catherine
cliché © Giada Connestari / Imagéo / ONF

Si l'activité n'aura tenue qu'un peu plus de 20 ans à cet emplacement, il faut plutôt regarder du côté des difficultés financières liées aux travaux de remise en état et d'aménagement d'une partie du site, qui nécessitent d'autres appels à capitaux en 1783 et 1784 avant que ne démarre réellement la production.

illustration 8) Les eaux noires de la mare, riches en biodiversité
cliché © Giada Connestari / Imagéo / ONF

Quant à Michel Neppel - directeur puis superviseur de fabrication, cet originaire de Saint-Cloud dans les Hautes-de-Seine enchaîne les déboires : toutes ses fabriques de faïence (à Montauban, Lépine, Annecy et enfin à Carouge) connaissent des échecs... Sainte-Catherine ne faisant pas exception.

Enfin, il faut prendre en compte l'isolement et les difficultés d'accès du lieu, ainsi que la concurrence qui se développera à proximité.

Plus récemment, l'ONF souligne à juste titre la présence du nant de Sainte-Catherine et ses bénéfices pour l'écosystème du vallon, et même en contrebas des ruines une petite mare d'eau noire (noire parce que riche en matière organique). Cette dernière est d'ailleurs régulièrement entretenue car elle a tendance à disparaître spontanément par auto-comblement.

illustration 9) Plan du réseau hydrographique d'Annecy (extrait centré sur la partie abbaye de Sainte-Catherine du Mont).
Le terme de "nant" est une terminologie propre aux Savoie pour désigner généralement un ruisseau - parfois un torrent -, ce qui en fait un cours d'eau plus important qu'un ru / ruisselet, et plus régulier en terme de débit qu'un torrent même si les 2 sont pérennes...
À noter que certains nants et rus (Isernon, Trois-Fontaines, Prairie) sont aujourd'hui couverts sur tout ou partie de leur tracé afin de limiter les inondations saisonnières...
« Histoires d'eaux - Maîtriser les ruisseaux », Marie-Claude Rayssac, Carnets d'archives, Ville d'Annecy éditions, ISBN 978-2-918873-08-2.

Et il ne faut pas oublier qu'en terme de géologie, une ressource abondante à un moment donné, peut varier dans le temps (mouvement de terrain de surface/souterrain qui détourne l'eau, captation en amont pour une autre activité humaine). Donc le débit constaté de nos jours n'est peut-être pas représentatif du débit effectif entre le XIIe et le XVIIIe siècle au moment des occupations successives du lieu.

En parlant de variation de source d'eau, voir à ce propos l'exemple de la >> Fontaine d'Amour à Colmyr...

En conclusion, la fermeture du couvent après 5 siècles et demi, puis celle de la faïencerie, ne semblent pas directement liées à un défaut majeur d'approvisionnement en eau...


Un massacre des sœurs pendant la révolution française ?

Si, dans la nuit du 21 au 22 septembre 1792, les troupes françaises du général Montesquiou envahissent par surprise le duché de Savoie, le couvent de Sainte-Catherine du Mont est déjà fermé depuis 20 ans. D'après Fr. Mugnier et les correspondances qu'il a compilé, le site est encore dirigé depuis Bonlieu (ou peut-être occupé - ce n'est pas toujours clair) par l'abbesse De Planchamp et la prieure Duboin (qui seraient âgées respectivement de 78 et 84 ans au moment de leurs derniers courriers vers l'automne 1793), tandis qu'une autre partie du site a déjà été transformée pour l'implantation de la fabrique de faïence. Mais les terrains des différentes congrégations sont alors confisqués comme biens nationaux, et la faïencerie changera même plusieurs fois de direction pour des motifs politiques...

Pourquoi parler d'un massacre alors ? Peut-être parce que l'arrivée des révolutionnaires provoque la fuite à Turin - entre autres destinations - de nombreux membres du clergé, et que les répressions religieuses vont se multiplier durant la période entre 1792 et 1815.
Les sœurs sont chassées des couvents, souvent renvoyées - saines et sauves - dans leurs familles contre la promesse d'obéir désormais aux lois de la république française et la présentation d'un certificat de vie - document établi par les maires et devant témoins assermentés de leurs communes de résidence.

Ensuite parce que le sentiment de la population évolue au fil de l'occupation, et que les habitants finissent par se lasser de la crise économique, des répressions et des interdits religieux, ce qui les poussent à se révolter (révolte d'Annecy ; émeutes de Faverges, de Thorens ; révolte de Thônes) et on compte alors des morts un peu partout lors de ces événements.

Enfin, une autre explication à cette rumeur pourrait venir du cas de (Marie-)Françoise Duboin - la prieure qui co-administre l'abbaye depuis 1770 -, qui disparaît après l'évacuation menée par les troupes révolutionnaires françaises...

En conclusion, au delà des persécutions religieuses de cette époque, rien n'évoque un massacre visant spécifiquement les sœurs de Bonlieu/Sainte-Catherine.


illustration 10) Une ancienne scierie près de l'ancien couvent de Sainte-Catherine
cliché © Giada Connestari / Imagéo / ONF

Des tombes oubliées et des fantômes dans les ruines

Une histoire(5) raconte que cinq des sœurs - partisanes d'un régime monial plus strict - moururent probablement de contrariété devant les affres de leurs sœurs et de l'Abbesse ; elles furent ensevelies sous les dalles de l'abbaye de Sainte-Catherine du Mont, et leurs tombes furent délaissées lors du déménagement de l'ordre vers Bonlieu. Les sœurs oubliées hanteraient aujourd'hui les ruines...

Si l'abbaye était bien destinée à accueillir la nécropole des comtes de Genève, rien ne laisse à penser que les sœurs étaient mises en terre dans l'enceinte du couvent au lieu d'être rendues à leurs familles, et encore moins à proximité des rois et des évêques de haute lignée...
Le plan >> ci-dessus - établi d'après le cadastre de 1732 - ne semble pas faire ressortir la présence d'un cimetière dédié aux sœurs, mais la reproduction du guide des sentiers forestiers de l'ONF pourrait être incomplète ou simplifiée.
Il semble tout de même admis qu'il y ai eu des tombes "ordinaires" autour de l'église sur le site...

Une origine possible à ce récit peut s'ancrer dans la divergence de point de vue survenue entre Louise de Ballon et les sœurs de l'époque. La première appelle à un re-cloisonnement plus strict des couvents, un contrôle par l'évêque, l'installation en ville ; par opposition au système mondain, très libre et dans un lieu isolé prévalant alors dans la vie moniale cistercienne. De guerre lasse, après quinze années de tractations (1607-1622), Louise de Ballon quitte l'abbaye de Sainte-Catherine du Mont et fonde l'ordre des Bernardines réformées et s'installe à Rumilly avec 4 autres sœurs. Cette réformiste non-écoutée en son temps pourrait avoir inspiré les cinq fameuses sœurs (on remarquera qu'elles sont du même nombre). Son lien de parenté(6) avec François de Sales expliquerai que l'on prête aussi à l'évêque une intervention dans le "conflit"(7)...

Enfin, le départ vers Bonlieu n'ayant pas eu lieu dans une précipitation particulière, rien n'aurait empêché les tombes d'être proprement déménagées - si elles existaient...

Quant aux esprits errants qu'on crois voir virevolter entre les arbres et entendre chuchoter à la nuit tombée, Gaël Gautier - responsable de l'unité territoriale Bauges Aravis à l'ONF - y voit plutôt les signes de la présence de chiroptères : « (...) le monastère en ruine fait surtout le bonheur des chauve-souris, qui sont nombreuses à trouver refuge dans la tranquillité de cet espace boisé classé ».

En conclusion, il est difficile de démêler le vrai du faux de cette histoire de tombes oubliées, car elle mêle quelques faits historiques avérés mais sûrement exagérés et déformés, et des assertions qu'il est aujourd'hui presque impossible à vérifier... François Mugnier dans son « Histoire documentaire... » n'évoque jamais une telle histoire (il évoque bien la tristesse des sœurs lors du départ pour Rumilly de 5 des leurs, mais jamais d'affres des sœurs et de leur abbesse), alors qu'il en exhume d'autres (cumul des aumônes) des archives, correspondances et documents qu'il a consulté... Pour moi cela tends à ne pas être avéré... Quand aux fantômes, chacun est libre d'y croire ou pas 


illustration 11) Les ruines de l'église du couvent de Sainte-Catherine. 9 septembre 1825.
dessin de Prosper Dunant - collection Musées de l'agglomération d'Annecy - N° d'inventaire 16550

Rédaction : Cédric Cuz


Contributions : --


Publication initiale : 08 janvier 2022


Mises à jour : 13 février 2022 (modification textes, ajout navigation) / 19 février 2022 (modification textes, sources ; ajout illustration 11) / 02 mars 2022 (corrections orthographe et grammaire, photos cliquables) / 23 avril 2022 (compte-rendu d'une randonnée au vallon & photos) / 16 août 2022 (corrections formulations et tournures de phrases) / 30 septembre 2022 (ajout description des bâtiments & liste des possessions et dépendances, corrections formulations et tournures de phrases) / 28 juillet 2024 (réécriture du chapô d'introduction, plus cohérent avec la chronologie)


Mise à jour 23 avril 2022

La dernière fois que je suis allé dans le vallon de Sainte-Catherine, j'étais adolescent, et la curiosité m'avait poussé à « tester » le chemin qui monte aux Puisots en passant par l'oratoire... je n'étais donc pas retourné sur le site à proprement parler. J'y suis donc allé avec un collègue de travail en mode rando facile sur une demie-journée en cette fin avril 2022. Le trajet est agréable, on est très vite dans des bois assez denses qui coupent le bruit de la ville, et le chant des oiseaux est quasi omniprésent durant tout le chemin.

Le lieu-dit la Boverie est le mieux conservé, mais il est difficile d'appréhender la fonction d'origine de ce bâtiment : le plus grand mur est perçé de deux fois six ouvertures... mais à quoi cela servait ces ouvertures ? De simples fenêtres, mais alors pourquoi cette forme et ce nombre ? Quand à la Grangette, il ne reste qu'un carré de pierres en ruines ; étymologiquement c'était une petite grange certes, mais alors de quelques mètres carrés à peine...

Pour le site du vallon - et c'est une erreur très commune lorsqu'on visite le site - les ruines visibles sont pour la principale celle d'une ancienne scierie, construite bien après les années 1960 (donc après l'abandon définitif du hameau de Sainte-Catherine du Mont) - bien loin du site d'origine établi entre 1150 et 1772.

illustrations 12, 13 et 14) Le vallon de Sainte-Catherine
© Cédric Cuz, avril 2022

Du couvent cistercien, il est très difficile de dire ce que les pans de murs à moitié éboulés peuvent représenter... Le plan d'après la mappe Sarde de 1732 de >> l'illustration 1 ne dispose pas d'échelle ni de repère "pérenne" (le nant qui coule quelques mètres plus loin, ou la scierie installée après coup et encore présente). Je sais, en ayant consulté de nombreux documents, que le site a été remanié pour accueillir la fabrique de faïence, puis que les bâtiments ont ensuite été déconstruits ou rasés en plusieurs fois - l'artiste Haut-Savoyard P. Dunant ayant effectué le dessin de >> l'illustration 11 ci-dessus en 1825 - soit une vingtaine d'années après l'arrêt de la faïencerie et une cinquantaine d'années après la fermeture du couvent. À noter aussi que le boisement du site n'était pas du tout le même qu'aujourd'hui, et que les arbres "jeunes" présents sur le site peuvent diminuer la perception de l'espace qui était jadis dévolu aux différents bâtiments... La construction de fermes et de leurs dépendances a encore apporté des modifications au site, les habitants ayant utilisé librement les matériaux présents pour leurs besoins ou pour se faire de l'argent...

J'y retournerais sans doute encore, histoire de prendre un peu plus de photos et d'explorer un peu plus le vallon...


Chronologie et repères temporels :
  • 1132 : construction d'une maison forte sur l'île au milieu du Thiou,
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  • 1150, ou 1160, ou entre 1179 et 1228 : fondation de l'abbaye Sainte-Catherine du Mont par les comtes de Genève, sans doute sur la base d'un site existant - Notre-Dame du Mont - et populée par des transfuges du couvent de Bonlieu-sous-Sallenôves,
  • ...
  • 1242 : "rupture" de filiation entre Sainte-Catherine du Mont et l'ordre de Bonlieu,
  • ...
  • 1340 : important incendie d'Annecy qui détruit le château,
  • ...
  • 1606 ou 1607 : création, à la mode italienne, de l'Académie florimontane par François de Sales et le président du Sénat de Savoie Antoine Favre, vingt-huit ans avant la fondation de l'Académie française,
  • 1607, 4 mars : Louise de Ballon effectue dans l'abbaye sa profession solennelle,
  • 1610 : fondation de l'ordre de la Visitation par François de Sales et Jeanne de Chantal,
  • ...
  • 1622 : Louise de Ballon quitte l'abbaye et fonde l'ordre des Bernardines réformées avec le soutien de l'évêque François de Sales, et ouvre son premier couvent dans le centre-ville de Rumilly,
  • ...
  • 1639 : installation à Annecy du couvent des Bernardines,
  • ...
  • 1648 : les Bernardines s'installent sur le site du faubourg du Pâquier-Mossière ; les sœurs de Bonlieu-sous-Sallenôves arrivent à Annecy,
  • ...
  • 1752, 4 avril : dispersion de la communauté des Bernardines de Rumilly et de La Roche-sur-Foron. Les Cisterciennes non réformées de Bonlieu, installées faubourg de Bœuf (rue Carnot actuelle), investissent le site du Pâquier,
  • 1758 : la population d'Annecy est estimée à 4'500 habitants, mais ne compte aucun potier,
  • ...
  • 1772 : dissolution de l'abbaye Sainte-Catherine du Mont, dont les 8 dernières sœurs s'installent à Bonlieu, ce qui porte les effectifs de la nouvelle abbaye de Bonlieu à 25 religieuses de chœur, 6 oblates(4) et 6 servantes,
  • ...
  • 1780 : installation d'une faïencerie dans les murs de l'ancienne abbaye de Sainte-Catherine du Mont,
  • 1780, nuit du 14 au 15 octobre : un incendie détruit l'église, la grande cave et d'autres bâtiments du couvent des sœurs de Bonlieu,
  • ...
  • 1792-1815 : occupation des Savoie par les révolutionnaires français,
  • 1793 : l'abbaye de Bonlieu (Annecy) qui ne compte plus que 11 sœurs est dissoute,
  • entre 1795 et 1799 : implantation de nombreux potiers issus de l'immigration allemande,
  • 1804 : fermeture de la faïencerie de Sainte-Catherine,
  • ...
  • 1815, 21 & 22 décembre : Annecy fête son retour au royaume de Piémont-Sardaigne,
  • ...
  • 1860 : annexion des Savoie à la France,
  • ...
  • 1909-1930 : construction de la basilique de la Visitation,
  • 1911 : transfert de la Visitation au Crêt du Maure et translation des reliques de saint François de Sales et de sainte Jeanne de Chantal lors de fêtes grandioses,
  • ...
  • 1947 : restauration du petit oratoire désigné Notre-Dame-du-Vallon sur le sentier escarpé du Pas de l'Âne,
  • 1952 : début de la restauration du château et des quartiers historiques,
  • ...
  • 1972 : démolition de la gendarmerie après le départ des militaires vers la nouvelle caserne de gendarmes mobiles (future caserne Dessaix),
  • 1973-1978 : construction du nouveau Palais de Justice, sur les plans de l'architecte Maurice Novarina,
  • 1973 et 1982 : rachat du site par la ville d'Annecy, reboisement du site, aménagement de sentiers de randonnée.

Notes :
  • (1) Couvent de Cisterciennes fondé en 1160, situé au lieu-dit Bonlieu sur la commune de Sallenôves, fermé en 1648 avec déplacement à Annecy - au faubourg de Bœuf,
  • (2) cette fois, il s'agit du couvent des Bernardines d'Annecy, surnommé couvent de Bonlieu et installé dans le faubourg du Pâquier-Mossière entre 1648 et 1793...
  • (3) le lieu semble avoir accueilli les sépultures de : Guillaume Ier ; Agnès de Montfaucon - femme du comte Aymon II ; Amédée II ; sont aussi évoqués selon des sources Gui de Genève - évêque de Langres, aux côtés de son père le comte Guillaume II et de ses oncles,
  • (4) (4) oblat et oblate sont des laïcs qui sont donnés par leurs parents ou se donnent à un monastère / un couvent, qui l'accueille pour leur permettre de vivre certains aspects de la vie et de la spiritualité monastique / moniale, sans pour autant prononcer de vœux,
  • (5) une « histoire » rapportée par... Le Dauphiné Libéré (pas une grande référence en soi)... dans cet >> article,
  • (6) Louise de Ballon est une jeune cousine de François de Sales,
  • (7) un événement que je juge fantaisiste serait la visite que François de Sales - alors évêque de Genêve-Annecy - aurait effectué à l'abbaye et durant laquelle l'abbesse lui aurait pour ainsi dire claqué la porte au nez... Déjà, l'abbesse à cette époque était une autre de ses cousines. Enfin, qu'un tel acte ne soit pas sanctionné me paraît bizarre, et 150 ans après la mort de François de Sales, il n'aura fallu qu'une année à un autre évêque pour faire fermer définitivement l'abbaye ?! Vraiment étrange...

Sources :

permalien : //www.killeak.net/?section=17&view=2422

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mot(s) clé(s) : haute-savoie hier et aujourd'hui histoire

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Vos avis, commentaires et contributions :

  • jean-françois Paille

    Merci pour ce très interessant reportage historique.

  • Joel Serralongue - ex-archeologue départemental de la Haute-Savoie

    Bel exercice mais vous pourriez l'enrichir encore en compulsant les études plus récentes que celle de Mugnier de Christian Regat et Georges Grandchamp publiées dans la revue Annesci mais aussi les diverses études archéologiques que j'ai compilées dans la Revue Savoisienne suite aux fouilles archéologiques que j'y ai organisées sur les vestiges de l'abbaye mais aussi sur les dépotoirs de la faïencerie, terre vernissee et tuilerie que David Wavelet et Alban Horry présentent dans l'ouvrage "De la rose l'oiseau".

  • Marie-claude

    Quand je vois le site aujourd'hui, j'ai vraiment du mal à imaginer que tous ces bâtiments aient pu tenir, ca paraît tellement étriqué... Et une église, carrément !

    • Cédric

      Bonjour,
      Ce n'est pas la démonstration la plus rigoureuse que je puisse faire, mais je me suis permis de faire cette superposition de captures d'écrans à la même échelle de 2 sites - Sainte-Catherine et le couvent des Capucins :


      Le couvent des Capucins de l'avenue de Cran, construit dans les années 1870, comporte une église de belle taille en plus du bâtiment arrière où vivaient les capucins. Or, si on fait abstraction de la pente, du cheminement, le site des Capucins "rentre" sur le site de Sainte-Catherine.

      Comme dit dans l'article, le reboisement récent du site diminue l'espace autrefois disponible pour les constructions cisterciennes, et la transformation en faïencerie puis l'installation de fermes a aussi eu un impact sur la topographie...

      J'espère que ça vous aidera à apprécier l'espace qui fût occupé par les sœurs

    • Marie-Claude

      Je ne pensais pas que mon message serait vu... merci, je vois un peu mieux ce que cela offre comme possibilité d'implantation. Connaissez-vous les effectifs de ces deux communautés (les soeurs et les capucins)?


    • Cédric

      Désolé j'ai mis un peu de temps à trouver l'info sur les capucins, pas faute qu'ils aient leur site internet, mais il n'y a pas de fiche Wikipédia ni de documentation en libre accès avec ce genre d'infos sur leur présence à Annecy.
      Certains personnes parlent d'une douzaine de Capucins sur la période récente / contemporaine. Il est possible qu'il y en ai eu + mais leur histoire a été marquée par des expulsions / retours à répétition.
      Pour les sœurs cisterciennes, elles étaient 8 à la fermeture du site en 1772, et il semble qu'elles aient été jusqu'à une quinzaine ou une vingtaine à Sainte-Catherine. Attention, il semble que certaines sœurs, filles de bonnes familles envoyées au couvent pour ne pas être mariées (les papas ne voulaient pas payer la dote à la famille du gendre), avaient des domestiques, sans parler de la présence d'oblat-e-s (cf renvoi N° 4).
      Enfin, une dernière pondération pour la comparaison, ces 2 ordres ont des différences parfois fortes : femmes-hommes, rapports et interactions avec la population civile/séculière, missions d'aide pour les uns, vie recluse pour les autres, aux portes de la ville/loin à l'extérieur... Mais si on reste juste sur une comparaison numérique (mètres carrés et effectifs), je pense que les sœurs auraient pu vivre sur un site de la taille des capucins, et réciproquement.





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