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Le lac d'Annecy est né il y a environ 18'000 ans. Suite à la quatrième et dernière période de glaciation, les glaciers ont reculé, laissant derrière eux d'immenses étendues d'eau comme le lac d'Annecy. Celui-ci est alimenté par des rivières de montagne et par une source sous-lacustre. Il se déverse dans la rivière du Thiou, son exutoire principal.

La rivière a joué un rôle très important dans l'implantation et l'évolution de la ville. Elle offre aux habitants une source d'énergie naturelle. Le potentiel de sa force motrice encourage le développement de l'artisanat et permet l'installation de nombreux artifices sur les quelques 3,614 kilomètres qu'elle parcourt.

Nous retrouvons le Thiou à la frontière de deux anciennes communes : Annecy et Cran. Grâce à son alignement et à l'installation de vannes au 19e siècle pour assurer sa régulation, les industries naissantes utilisent désormais sa force motrice tout au long de l'année. À partir de ce point, la nature de son sol offre au Thiou un dénivelé beaucoup plus important que sur son tracé urbain : 22 mètres de dénivelé entre le Pont Neuf jusqu'à sa confluence avec le Fier au niveau du pont de Tasset. Le lit ne descend pas en pente douce mais forme plutôt des crans ou marches de roche molassique. Cela explique l'implantation d'activités avec de forts besoins en énergie sur cette portion du Thiou, notamment celles des papeteries et des forges. Dans un premier temps, les activités artisanales installées sur ces rives sont diverses et variées : papetiers, fabricants de cierges, charrons, ferblantiers, meuniers, producteurs d'huile de noix.

Puis au 19e siècle, l'industrialisation de la Savoie attire de nouveaux entrepreneurs qui transforment les moulins artisanaux en usines. Dès 1817, les forges de Cran prennent vie, puis les papeteries Aussedat et enfin le tissage de la Manufacture d'Annecy.

Les industriels n'hésitent pas alors à investir dans de nouvelles technologies pour développer leur activité. Les papeteries Aussedat s'équipent d'une dynamo Graham, la première de la région en 1882, et commencent ainsi la production d'hydroélectricité. Au siècle suivant, le tissage s'équipe à son tour d'un groupe hydroélectrique. Réhabilitée en 2016, la micro centrale alimente toujours une partie des bâtiments de la commune.

illustration 1) Environs d'Annecy : Cran, circa 1890-1900 ; le village de Cran (avant la fusion avec la commune de Gevrier sur les hauteurs remontant vers Seynod) est un bourg de petite taille... Sur cette photo, nous sommes peu ou prou au niveau du repère #14 sur le plan...
photo © A. Gardet, photo-éditeur, Annecy
plan) Le Thiou industriel, parcours #2, en autonomie – environ 2,4 km – attention le segment sur la rive gauche du Thiou entre le pont bleu et la passerelle arc-en-ciel (entre les repères 8 et 11) peut présenter des difficultés de franchissement pour les PMR – transition jusqu'au >> parcours #1 d'environ 0,4 km par la promenade Louis-Lachenal.

Les fromageries Fernand Reignier

En 1919, Fernand Reignier installe son entreprise fromagère sur la rive gauche du Thiou, en contrebas, à l'aval du pont. Le petit lait est ainsi déversé directement dans la rivière.


Un entrepreneur dynamique

Fernand Reignier, surnommé « Nan-Nan », est né à Annecy le 21 octobre 1885. D'abord comptable dans l'entreprise fromagère Picon à Saint-Félix, il se lance dans la fabrication et l'affinage de spécialités fromagères.

Il emploie une centaine de personnes dans son usine des bords du Thiou et dans ses bureaux rue de la Paix. En 1946, son usine est détruite par un incendie. Fernand Reignier reconstruit et agrandit ses locaux en aménageant caves et garages. Il meurt à sa table de travail en 1969. Sa nièce, madame Frachat, continue l'activité avec 50 employés jusqu'à la fermeture définitive de l'usine en 1974.


Des spécialités innovantes

Visionnaire et énergique, Fernand Reignier invente des nouvelles spécialités fromagères étonnantes : fromages fondus en tube, fromage au chocolat, au jambon et de la fondue savoyarde en boîte !

illustration 2) Le Pont-Neuf circa 1900-1910.
Le point de départ du second parcours se trouve à gauche de la photo. Les fromageries Reignier sont en face, sur la rive gauche, on peut donc supposer que la photo est vraisemblablement prise depuis ladite fromagerie ou d'un ponton de service
photo © DR
illustrations 3) Fromages Reignier, cancoillotte au vin blanc La Savoyarde, Le Beau Pasteur et Le Fondant de Savoie
photos © Archives municipales d'Annecy, références 43 Fi 25, 43 Fi 52 et 43 Fi 24

Entre autres, il lance les marques Le Nan Nan (son surnom), Le Kik, Le Beau Pasteur, Le Zep, Le Bleu de Bleu, Le Bâton de Savoie, La Savoyarde et Le Fondant de Savoie.


Un nouvel abattoir

En 1893, la Ville décide d'implanter un nouvel abattoir dans le quartier de la Mandallaz. Le terrain est situé légèrement en retrait de la rive droite du Thiou, sur l'actuelle place.


L'abattoir

Le site choisi présente plusieurs avantages : il est spacieux, éloigné de la ville et à proximité de l'eau, essentielle pour l'activité salissante de l'abattoir. Une grande cour de travail centrale est entourée de bouveries, bergeries, porcheries et d'un bureau de vétérinaire. De l'autre côté, une triperie et un échaudoir destinés aux charcutiers permettent l'élaboration de produits de boucherie.

illustration 4) Plan d'Annecy vers 1910 (extrait). Au centre, les abattoirs et ses différents bâtiments. Autour et à proximité, différentes activités directes et indirectes
photo © Archives municipales d'Annecy, référence 21 Fi 5

illustration 5) Le café-restaurant de l'Abattoir
photo [Thimothé] Verron, années 1930 © fonds de la photothèque des musées d'Annecy

Le développement du quartier

Le quartier se développe peu à peu en véritable « zone industrielle ». Des activités liées à l'abattage s'installent autour de l'abattoir municipal : savonnerie, tannerie, triperie-boyauderie, salaisons. Paul Jacquin possède une impressionnante usine de « bois de galoches » située à côté de l'abattoir, avec une production impressionnante de 1'200 paires de semelles par jour ! D'autres industries très diverses s'implantent progressivement dans ce quartier à partir des années 1920. On y trouve des ébénistes, des mécaniciens, des usines de poupées, de boutons et de briquets. L'abattoir est à nouveau déplacé en 1957 dans le quartier de Vovray. Son départ marque le début du déclin du quartier.


Le chemin de fer

Le pont métallique qui franchit en diagonale le Thiou permet aux trains de quitter la rive gauche pour rejoindre la gare d'Annecy. À partir de 1866, les trains transportent des milliers de tonnes de marchandises provenant des usines de Cran et d'Annecy.


La modernisation du transport marchand

Avant l'arrivée du chemin de fer, les industries utilisent des animaux pour transporter matières premières et produits finis. Des mulets, des chevaux et des bœufs véhiculent coton, papier, fer et fonte moulée. Le train permet donc la modernisation des moyens de transport, assurant une meilleure fiabilité et des gains de temps considérables.

Le trajet de la voie ferrée passe à proximité des nombreuses usines présentes au bord du Thiou. Mais malgré cette forte concentration d'industries, la Compagnie du Paris-Lyon-Méditerranée ne construit pas de gare de marchandises à Cran. Les usines sont obligées d'apporter leurs produits jusqu'à la gare d'Annecy en empruntant les actuelles avenues de la République, de Cran et de Berthollet. Cette étape intermédiaire est encore effectuée par des chevaux de trait au début du 20e siècle.

En 1923, les Papeteries Aussedat font réaliser un embranchement ferroviaire sur la ligne Aix-Annecy qui traverse l'enceinte de l'entreprise, afin de s'approvisionner plus facilement en pâte à papier. Elles construisent, le long de la voie ferrée, des bâtiments pour réceptionner les matières premières et des magasins destinés à stocker la production prête à l'expédition.


L'île aux Vannes

La vanne qui traverse aujourd'hui le Thiou entre la rive gauche et l'île aux Vannes témoigne du passé artisanal et industriel de ce lieu. Courants et méandres contournent les petites îles, créant un environnement idéal pour capter l'énergie du Thiou.


La cartonnerie Aussedat-Mercier

Dès le 18e siècle, des moulins, battoirs, scieries et tanneries profitent de l'aménagement naturel du site. L'île et les berges alentours appartiennent aux révérendes sœurs de la petite Visitation jusqu'à la Révolution française [ndr: occupation des Savoie par les révolutionnaires français].

Dans les années 1860, Alexandre Aussedat, propriétaire des Papeteries, installe une scierie qu'il transforme rapidement en cartonnerie. Les vannes et le canal permettent de réguler le débit du Thiou et d'amener l'eau sur la roue de la cartonnerie.

A la fin du 19e siècle, le chiffon n'est plus utilisé comme matière première dans la fabrication du papier. On lui préfère la pâte à bois, fabriquée à partir des chutes de sapin de charpentes. En 1867, Aussedat invente un nouveau procédé de fabrication de carton appelé « mi-chimique ». Le bois de sapin est cuit à la vapeur et sous pression. La matière est réduite aux seules fibres, sans sève ou autres impuretés. La pâte résultante est coulée, pressée et découpée en plaques sous des meules actionnées par l'eau de la rivière. Eugène Aussedat reprend l'activité de son père, suivi par sa fille Clara Aussedat-Mercier. La cartonnerie est détruite par un incendie en octobre 1930. Elle n'est pas reconstruite.


Le tissage de Cran

L'imposante cheminée en brique témoigne de l'emplacement de l'ancienne usine de tissage de Cran, dirigée par la famille Laeuffer, dès le début du 19e siècle. L'usine produit 3 millions de mètres de tissu par an à son apogée en 1860 avec 422 métiers à tisser.


Le tissage mécanisé

Les propriétaires de la Manufacture d'Annecy installent une dépendance à Cran en 1829. Les caractéristiques naturelles du site sont idéales pour l'implantation d'une usine de tissage sur la rive droite du Thiou. L'île crée un canal naturel sur lequel est installée une vanne (visible sur la partie gauche) permettant de réguler l'eau qui arrive sur la roue de l'usine. Profitant d'une hauteur de chute naturelle de quatre mètres, la force motrice de l'eau entraîne la roue hydraulique qui, grâce à des courroies de transmission, actionne toutes les machines.

Un premier bâtiment est construit pour installer les métiers à tisser mécaniques par rangées de cinquante sur plusieurs étages. L'environnement est extrêmement bruyant. Les machines vibrent d'une telle force que des dizaines de poteaux sont installés pour soutenir les planchers de chaque étage.


L'agrandissement

L'usine subit un agrandissement majeur en 1893 avec la construction d'un large bâtiment éclairé par des sheds, toitures vitrées en dents-de-scie, puis à nouveau en 1908. Une turbine Kaplan remplace la roue hydraulique d'origine pour faire fonctionner 300 métiers à tisser. La force motrice de l'eau sera ensuite utilisée pour actionner un groupe hydroélectrique et fournir l'électricité nécessaire à l'usine.

Cette annexe de la Manufacture d'Annecy ferme ses portes en 1955 comme la filature. Le site reste à l'abandon jusqu'à sa démolition en 1989 pour construire le centre-ville Chorus.


L'hydroélectricité

Les industries de Cran, à partir de 1882 par exemple pour les Papeteries, vont progressivement s'orienter vers la production d'hydroélectricité afin de faire tourner leurs usines. Héritée de l'industrie du tissage, [visible sur la] gauche, [se trouve] la micro centrale hydroélectrique de Cran-Gevrier. Une vanne régule le débit de l'eau qui arrive dans le bief de dérivation et permet d'amener l'eau à la centrale. Un dégrilleur piège les déchets en amont de la turbine. Dans le petit bâtiment se trouve le groupe hydroélectrique, avec la turbine et l'alternateur. L'eau chute sur la turbine qui tourne et actionne l'axe ou l'arbre. Ce dernier entraîne lui-même un générateur produisant l'électricité grâce à son rotor (tournant) et à son stator (fixe). Remise en service en 2016, la microcentrale peut produire 850'000 kWh d'électricité par an pour alimenter certains bâtiments de la ville.


Les papeteries de Cran

Depuis le Moyen Âge, la fabrication du papier est une spécificité de Cran. La fabrication du papier se fait à base de vieux tissus qui sont broyés et mélangés à l'eau pour former une pâte à papier. Le Thiou fournit l'eau et les chutes de tissus proviennent des industries textiles à proximité.


La maison Aussedat

La vraie aventure commence avec l'arrivée d'Augustin Aussedat au début du 19e siècle. Il installe une papeterie dans une ancienne fabrique de limes au bord du Thiou. En 1813, la fabrique produit 2'350 rames de papier à partir de chiffons. Suite au rattachement de la Savoie à la France en 1860, la société se réinvente pour gagner le marché français. Le papier à base de chiffons est abandonné en 1881 en faveur de la pâte à bois, obtenue à partir de copeaux de résineux ou de paille. Dès 1882, la société produit sa propre hydroélectricité pour ses bureaux et ateliers, ainsi que pour la gare d'Annecy.


Des produits spécialisés

Toujours innovante, cette entreprise s'est plusieurs fois reconvertie. En 1880, elle investit dans une machine à lisser le papier pour faire du papier glacé. Elle devient fournisseur du ministère de l'Intérieur en papier Japon, un papier haut de gamme employé pour brevets, diplômes, chèques, actions et titres infalsifiables.

Dans les années 1950, l'usine se spécialise dans la carte perforée. Ce produit cartonné, parsemé de petits trous, est un support d'enregistrement codé pour les machines Bull puis IBM.

La famille Aussedat s'associe également avec la famille Rey créant le Polyrey pour la fabrication de meubles d'intérieur, dont la marque est restée célèbre. Suite à plusieurs rachats, la société est reprise par les employés en 1994. Malgré des tentatives de relance, elle ferme définitivement ses portes en 2006.


Les halls

L'agrandissement

Les nouvelles machines IV et V, nécessaires à la fabrication de cartes perforées, mesurent plusieurs dizaines de mètres de long. D'imposants bâtiments sont alors construits pour les héberger. Lors de la création de l'écoquartier des Passerelles en 2017, seuls ces halls sont conservés et reconvertis en Cité de l'image et de la création numérique, appelée Les Papeteries Image Factory.


Les Fonderies et Forges de Cran

L'usine des Fonderies et Forges de Cran est la dernière industrie implantée sur le Thiou, avant sa confluence avec le Fier.


Une production de fonte

Une première forge est construite à cet emplacement à la fin du 18e siècle pour la production artisanale d'outils agricoles. En 1817, Louis Frèrejean la rachète et construit une nouvelle forge sur la rive gauche, dans le dernier virage du Thiou. Le minerai vient des environs : Tamié, Duingt, Saint-Jorioz, Ferrières (Pringy), Cuvat et Cruseilles. Les feux de la forge sont alimentés par du charbon de bois provenant des forêts locales comme celle du Semnoz.

Des objets industriels et domestiques de toutes sortes sont fabriqués en fer et en fonte : poêles de chauffage et cuisinières, casseroles et ustensiles culinaires, rails de chemin de fer, etc. Le rattachement de la Savoie à la France en 1860 va contraindre l'entreprise à trouver de nouveaux marchés et à faire appel à l'hydroélectricité produite par la société des Forces Motrices du Fier.


Une production d'aluminium

A partir de 1906, la production se réoriente dans la fonderie et le laminage d'aluminium. L'usine s'agrandit pour répondre aux demandes croissantes. Ce métal léger et résistant est employé dans l'industrie de l'automobile, des objets de ménage et surtout de l'aviation.

Durant l'entre-deux-guerres, l'usine crée l'alliage Alpax à 13% de silicium. Elle devient le leader européen de la production de disques culinaires pour la fabrication de casseroles et de poêles. C'est le premier fournisseur de la société Tefal, qui s'implante à Rumilly.

La société est rachetée à plusieurs reprises : par le groupe Pechiney-Rhénalu en 1967, Alcan-Novelis en 2003 et la Compagnie Alpine d'Aluminium en 2006. Elle est transformée en SCOP en 2015 puis ferme définitivement en 2019.


Le paternalisme industriel

Dès la fin du 19e siècle, les industriels sont alertés par les conditions de vie difficiles de leurs ouvriers. Pour les améliorer, ils initient d'abord la construction de nouveaux logements.


Logements et jardins

Lors de travaux à l'usine de tissage en 1869-1870, la direction installe une cuisine et un dortoir pour nourrir et loger des ouvrières issues de la campagne. En 1908, des pavillons individuels sont bâtis avec cour et jardin. L'attribution d'un logement par l'entreprise des tissages fait partie du contrat de travail des plus chanceux. Aucun loyer, seule une participation aux frais d'entretien est demandée.

Des jardins ouvriers, mis en place dès 1909, sont irrigués par l'eau du Thiou. Les Fonderies et Forges de Cran, les papeteries Aussedat et la Manufacture d'Annecy sont à l'initiative de cet aménagement. On en compte près de 500 en 1940 et quelques-uns subsistent encore. Une buvette de la tempérance voit également le jour, pour inciter les ouvriers à boire du café plutôt que de l'alcool.


L'église des forges

En 1858, Benoît Frèrejean, dirigeant des Forges de Cran, fait construire une église néogothique dédiée à l'Annonciation, juste à côté de son usine. Agrandie en 1894, l'église est aujourd'hui désacralisée [et porte le nom d'Espace des Forges].


Recherches & rédaction : Service Patrimoine - Ville d'Art et d'Histoire


Contributions : Cédric Cuz (transcription, adaptation pour le web)


Publication initiale : 06 février 2025


permalien : //www.killeak.net/?section=17&view=2721

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mot(s) clé(s) : haute-savoie hier et aujourd'hui histoire

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