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Les Savoyards sont devenus Français
La Savoie célèbre, en 2010, le 150e anniversaire de sa réunion à la France. Tout au long de l'année, votre magazine municipal vous donnera quelques repères pour vous aider à mieux comprendre l'événement.
A quelle date les annéciens sont-ils devenus Français ?
« Le jeudi 14 juin 1860 à midi, après la signature du "procès-verbal de la remise du territoire formant la province de Savoie" à la France. Le procès-verbal a été signé par les plénipotentiaires français et sardes dans le "salon jaune" du château de Chambéry.
Avant qu'ils ne deviennent Français, quelle était la nationalité des Annéciens ?
Annecy appartenait aux États du roi de Sardaigne, chef de la maison de Savoie, dont Turin était la capitale. En 1860, les États qui s'étendaient sur les deux versants de la chaîne alpine se composaient de la vallée d'Aoste, du Piémont, de la Ligurie et de Gênes à l'est ; de la Savoie et du pays de Nice à l'ouest et de l'île de Sardaigne en Méditerranée. Au début du XVIIIe siècle, l'île de Sardaigne - qui avait rang de royaume - avait permis aux ducs de Savoie d'accéder au titre de "roi".
Pour quelle raison la Savoie est-elle devenue française ?
Répondre en quelques mots à une telle question est difficile. Pour résumer, le roi Victor-Emmanuel II et Camille de Cavour, le chef de son gouvernement, conduisent une politique visant à créer un royaume d'Italie par fusion des principautés de la péninsule italienne dans les États sardes. A la demande de Napoléon III, empereur des Français, qui veut une frontière solide sur les Alpes pour se garantir contre ce futur grand État, le roi de Sardaigne va "consentir" à la "réunion de la Savoie et de l'arrondissement de Nice" à la France. C'est aussi le résultat d'accords politiques entre l'empereur et le roi, notamment pour une alliance militaire qui devait affranchir la Péninsule de l'occupation et de l'influence autrichienne. Les "réunions" de la Savoie et de Nice à la France sont officialisées dans le traité signé à Turin au ministère des Affaires étrangères, le samedi 24 mars 1860 vers 17h.
Est-il vrai que le bureau sur lequel a été signé le "Traité de Turin" est visible au château de Thorens ?
Oui. Ce bureau appartenait au comte Camille de Cavour. Sa grand-mère, Philippine de Sales, était une Savoyarde dont la famille - les Roussy de Sales - possède le château de Thorens. Cavour n'avait pas de descendances directe et par donations successives de ses héritiers, une partie de son patrimoine est arrivée au château, dont le bureau de son cabinet de travail où s'étaient réunis les signataires du Traité.
Quelle langue parlaient les Annéciens ?
Une boutade consiste à répondre qu'avant leur réunion à la France, les Savoyards ne parlaient pas ! En fait, la Savoie a toujours été francophone. Les États sardes étaient bilingues et en Piémont, on parlait "italien". »
Source :
- Revue municipale « Annecy », février 2010.
Le vote
Le premier article du Traité de Turin qui officialise la réunion de la Savoie à la France stipule que "cette réunion sera effectuée sans nulle contrainte de la volonté des populations". Pour "apprécier et constater cette volonté", une procédure de vote qui a pris le nom de "suffrage universel" a été proposée.
Qui a voté les 22 et 23 avril 1860 ?
« Tous les Savoyards âgés de 21 ans jouissant de leurs droits civiques (les femmes n'ont pas participé au vote). C'était une nouveauté puisque jusque-là, seuls les hommes payant le "cens" - c'est-à-dire un impôts minimum - étaient appelés à voter pour désigner leurs élus et notamment leurs députés qui siégeaient au palais Carignan de Turin.
Quelle était la question posée ?
Êtes vous favorable à la réunion de la Savoie à la France ?
Les électeurs favorables à la réunion pouvaient répondre par un bulletin "oui" ou "oui et zone" - regroupés en "votes affirmatifs". A partir de la proposition d'un ancien député faucigneran, la France avait proposé la création d'une zone franche pour la Savoie du nord, qui devait désamorcer l'orientation suisse souhaitée par le Chablais, le Faucigny et une partie du Genevois : ces régions entretenaient [alors] des liens économiques très forts avec Genève.
Les résultats ?
Les Annéciens, comme l'ensemble des Savoyards, ont répondu presque unanimement en faveur de la France. Notre ville comptait 2'296 électeurs ; 2'117 Annéciens se sont prononcés en faveur de "la réunion" ; 21 contre ; 9 étaient favorables à la zone.
Si les Savoyards avaient voté "non", que ce serait-il passé ?
Il est toujours délicat et hasardeux de se prononcer sur ce type d'interrogation... A cette période, "le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" n'est pas reconnu et seuls les souverains peuvent procéder à des échanges de territoires. Preuve en est avec La Brigue et Tende qui avaient voté pour la France et qui ne sont pas devenues françaises, puisqu'au dernier moment le roi Victor-Emmanuel II et l'empereur Napoléon III en ont décidé autrement.
Pour en terminer avec le Traité de Turin
Le Traité était court et ne contenait que huit articles. Il renvoyait à une commission spécialisée le soin de déterminer les limites des territoires échangés, il prévoyait la garantie des droits acquis par les militaires et les fonctionnaires et il permettait de choisir sa nationalité.
Le Traité ne contenait qu'un engagement : celui de la France à respecter ses obligations pour le percement du tunnel ferroviaire du Fréjus ; le gouvernement sarde se réservait de terminer lui-même les travaux entrepris sous la conduite de l'ingénieur savoyard Germain Sommeiller. »
Source :
- Revue municipale « Annecy », avril 2010.
Le passage à la France
Dans le numéro précédent, nous avons évoqué la signature du Traité de Turin qui a déclenché le processus qui conduira à la réunion de la Savoie à la France. Les 22 et 23 avril 1860, les électeurs savoyards ont massivement approuvé le destin français de la Savoie.
Que s'est-il passé après le vote ?
« Après le vote, le traité signé le 24 mars à Turin a fait l'objet d'une sanction législative par le parlement de Turin, fin mai, puis a été validé par le Sénat à Paris le 12 juin. Victor-Emmanuel II roi de Sardaigne et chef de la maison de Savoie et l'empereur Napoléon III ont alors ratifié le Traité qui devenait exécutoire.
A quelle date la Savoie est-elle devenue française ?
Le jeudi 14 juin à midi dans le salon jaune du château de Chambéry. Au nom de Victor-Emmanuel II, le chevalier Bianchi di Castagné a remis "le territoire formant la province de Savoie" au commissaire Armand Laity qui a déclaré "le recevoir et en prendre possession au nom de Sa Majesté l'empereur des Français". Parmi les témoins qui ont signé le procès-verbal, on note [la présence du] docteur Albert Lachenal, gouverneur-régent de la Savoie du nord, ancien député et ancien syndic d'Annecy.
Les Annéciens ont-ils fêté l'événement ?
De nombreuses manifestations officielles civiles et religieuses ont marqué le passage de la Savoie à la France. Elles se sont prolongées jusqu'au dimanche 17 juin. Ce jour-là, les Annéciens ont pu participer à un banquet de 500 couverts organisé sur la contre-allée du Pâquier.
Comment s'est déroulé le passage d'une administration à l'autre ?
Il avait été prévu un système transitoire jusqu'au 1er janvier 1861. En revanche, les lois militaires françaises - dont le recrutement pour l'armée - s'appliquaient immédiatement. Différents décrets et lois techniques prises à partir de juillet ont permis la conversion des dispositions sardes en dispositions françaises.
Qui a créé le département de Haute-Savoie ?
Les Savoyards ont négocié avec l'empereur la création des deux départements nés officiellement le 15 juin 1860. Les Savoyards étaient divisés sur cette question : la Savoie du sud - c'est-à-dire Chambéry - n'aurait voulu qu'un seul département. Les Savoyards du nord ont imposé la création de deux départements. Il est vrai que la Savoie a été administrée durant de nombreuses années sous forme de deux entités administratives. L'empereur a proposé que le nom de "Savoie" soit attaché à chacun de ces deux départements. Le Conseil municipal d'Annecy n'était pas particulièrement favorable à "Haute-Savoie", et proposera "Mont-Blanc" ou "Savoie Septentrionale", c'est-à-dire "Savoie du Nord". »
Source :
- Revue municipale « Annecy », juin 2010.
Le voyage impérial et ses conséquences
Du 23 au 25 septembre 1860, l'empereur Napoléon III et l'impératrice Eugénie entreprennent un voyage de trente jours qui les conduira jusqu'en Algérie. Au lendemain de la réunion de la Savoie à la France, le couple impérial ne pouvait manquer d'inclure dans son périple la nouvelle province française à laquelle il consacrera huit jours.
Quel programme pour leur première soirée annécienne ?
« Napoléon III et l'impératrice Eugénie sont arrivés dans notre ville le mercredi 29 août à 17h et l'on quittée le vendredi 31 à 9h. Annecy n'étant pas encore dotée d'un hôtel de préfecture, le couple impérial loge au palais épiscopal, inoccupé depuis le décès de Mgr Rendu un an plus tôt. Après un dîner, auquel participent une quarantaine de personnes triées sur le volet, la soirée se prolonge par une longue promenade en gondole sur le lac illuminé par des dizaines d'embarcations enguirlandées, de hauts bûchers flottants et un feu d'artifice offert par un mécène parisien. L'impératrice gardera un souvenir ému de cette fête vénitienne.
Qu'a vu le couple impérial d'Annecy ?
Le lendemain est consacré aux audiences et aux dossiers départementaux en cours. L'empereur s'engage à maintenir un haras à Annecy et confirme la création de la liaison ferroviaire Annecy/Aix-les-Bains. Annecy lui ayant été présentée comme le berceau de saint François de Sales et comme une "ville industrielle de 10'028 habitants comptant deux énormes filatures de coton", la visite du couvent de la Visitation de la rue Royale et de la Manufacture s'imposait.
L'après-midi, leurs majestés impériales découvrent les beautés de notre lac ; parties en voiture hippomobile par Veyrier, elles sont accueillies en fanfare à Talloires où les attend la gondole remorquée par seize rameurs. Tout en longeant la rive orientale, elles font honneur à un goûter préparé en plein lac et gagnent la rive opposée avant la nuit. A 22h, elles ouvrent le bal organisé dans les salons de la mairie.
Quelles ont été les conséquences de cette visite ?
L'empereur a confié au maire d'Annecy, M. Levet, une somme de 17'000 francs à répartir entre diverses sociétés de bienfaisance, au directeur de la Manufacture 500 francs pour les ouvriers malades et à M. Poulet, maire de Talloires, 100 francs pour les pauvres de sa communes.
Au cours de l'hiver, il fait savoir au préfet de la Haute-Savoie qu'il offre un bateau à la ville d'Annecy en remerciement de l'accueil qui lui a été réservé. La Couronne de Savoie, lancée le 15 août 1861, donne le coup d'envoi de la navigation commerciale à vapeur sur le lac d'Annecy.
Et, durant ce même hiver, les services municipaux et préfectoraux discuteront âprement la répartition des frais liés au voyage impérial... »
Source :
- Revue municipale « Annecy », septembre 2010.
1860, la Savoie et sa destinée française...
Nous avons suivi tout au long de l'année l'histoire de la "réunion de la Savoie à la France". Au terme de cette chronique, où trouver le fil conducteur des événements ?
« Incontestablement, ce fil conducteur se trouve dans l'histoire européenne et plus précisément dans la volonté des principautés de la péninsule italienne de créer un royaume d'Italie en fusionnant avec les États sardes dirigés par le roi de Sardaigne, chef de la maison de Savoie. La création de ce royaume peut se résumer en trois grandes étapes :
- En 1848-49, le roi Charles-Albert prend la tête de l'unification politique de la péninsule italienne. [Mais] ses troupes sont écrasées par l'Autriche qui influe sur les petites principautés du centre de l'Italie (Modène, Parme et la Toscane) et dirige la Lombardie et la Vénétie dont fait partir Vicence.
- Victor-Emmanuel II, fils de Charles-Albert, et Cavour, chef du gouvernement sarde, conduisent - à partir de 1852 - une subtile politique d'alliance avec la France pour créer une force militaire susceptible de libérer les principautés du joug autrichien. En 1859, la coalition franco-sarde remporte une demi-victoire contre l'Autriche, mais Napoléon III met fin à la guerre en juillet : les États sardes s'agrandissent de la Lombardie.
- En 1860, des initiatives diplomatiques de Victor-Emmanuel II et de Cavour visent à faire voter les principautés en faveur de leur fusion avec les États sardes, ce qui se réalise en mars. Durant cette période, la cession de la Savoie à la France sera une éventualité qui se formalisera à partir de juillet 1858 lors de la rencontre à Plombières entre Napoléon III et Cavour et se concrétisera lors de la troisième étape, en contrepartie de la "bienveillance" de l'empereur.
Le rôle des Savoyards a donc été limité dans le choix de leur destin ?
Il est évident que les "grandes décisions" leur ont échappé... Ce qui ne veut pas dire que les Savoyards ne se soient pas interrogés sur la place qu'ils occuperaient dans ce futur royaume d'Italie et qu'ils pas pesé sur le choix de leur destin. Dès 1848, le débat s'était ouvert entre ceux qui prônaient une solution française et ceux qui voulaient rester fidèles à la monarchie de la Maison de Savoie. En revanche, à partir de la signature publique du Traité de Turin, le 24 mars 1860, un consensus largement majoritaire se dégagera chez les Savoyards en faveur de la solution française.
Et l'unité de l'Italie ?
Le 17 mars 1861, le chef de la Maison de Savoie sera proclamé "roi d'Italie" avec Turin comme capitale. Il manque encore des territoires et il faudra attendre dix ans avant que l'unité politique de l'Italie soit complète avec Rome comme capitale. L'année prochaine, l'Italie célèbrera le 150e anniversaire de la création du royaume d'Italie. »
Source :
- Revue municipale « Annecy », décembre 2010.
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